TOUT EST DIT

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samedi 26 juillet 2014

La bonne marge des affaires

Il faudrait selon nos ministres restaurer les marges pour promouvoir l’investissement. Et pour cela, réduire la concurrence. Car il est plus simple de plumer un consommateur captif que de répondre à ses attentes. 

La concurrence accrue dans les télécommunications, qui permet au consommateur de bénéficier de plus pour moins cher, aurait selon Arnaud Montebourg des conséquences désastreuses : la diminution des prix détruit l’emploi, réduit les marges et donc nuit à l’investissement. Mince alors.
Mais pourquoi certains réduisent-ils les prix et tirent-ils les marges à la baisse ?
Il faut d’abord comprendre que les prix bas ne font pas les faibles marges. Free, par exemple, mise sur le volume et la maîtrise des coûts ; en réduisant les prix, l’entreprise a parié sur une arrivée rapide et importante de clients, et a réussi son pari.
Mais si l’opération était aussi assurément rentable, au point que les trois opérateurs en place aient autant fait pour empêcher ou retarder l’arrivée de Free, pourquoi n’ont-ils pas avant Free adopté cette stratégie ?
Cette stratégie ne les arrangeait tout simplement pas. Une concurrence faible facilite le maintien de marges élevées sur le dos de clients au choix restreint. Surtout quand on s’entend sur les prix.
L’argumentaire des opérateurs, aujourd’hui repris en chœur par les ministres, fait de la marge la condition de l’investissement, et de l’investissement la clé pour apporter aux utilisateurs le meilleur service. Mais pourquoi n’ont-ils alors pas utilisé les confortables marges permises par les prix élevés du passé pour prendre de l’avance ? Comment Free peut-il être aussi compétitif face à des acteurs bien établis, jouissant en théorie d’importantes économies d’échelle et des effets positifs de l’expérience ?
Ils se sont certainement reposé sur leurs lauriers, protégés qu’ils étaient par le régulateur et le législateur. Alors qu’ils auraient pu innover et réduire leurs coûts. Mais pas seulement. Ils ont été encouragés par le pouvoir à ne pas prendre certaines décisions favorables à la compétitivité mais défavorables à l’emploi, handicapés par une législation rigide et, parfois, par des statuts et mentalités hérités du passé n’encourageant pas la productivité et la flexibilité.
L’avantageuse proximité avec le pouvoir leur permettait donc de conserver des prix élevés, mais leur imposait de prendre des décisions plus politiques qu’économiques. Et les politiciens gagnaient aussi beaucoup à la proximité avec des chefs de grandes entreprises. Seul le consommateur, pour les uns, et le contribuable, pour les autres, était perdant.
Aujourd’hui, on accuse donc Free de détruire l’emploi que finançaient les surcoûts permis par la concurrence restreinte. De même qu’on rend le manque de moyens responsable des catastrophes ferroviaires et de la dégradation de la qualité du « service public », alors que les effectifs sont pléthoriques et les moyens abondants. Le manque de productivité et la mauvaise gestion, associés à l’emprise de syndicats mafieux, sont en revanche rarement évoqués.
Tout comme le poids des lois et réglementations nuisant aux entreprises et aux consommateurs. Tout comme le poids de la fiscalité. On accuse Free, finalement, d’empêcher la bonne marche du système de copinage et connivences entre grandes entreprises et politiciens ; en rendant service au consommateur, l’entreprise ne rend pas service aux politiciens et aux entreprises qui doivent leur succès avant tout à leur soutien. L’État n’est pas au service du consommateur ou du citoyen, mais au service d’intérêts privés.
Il faut, à long terme, des marges pour investir – même si Free n’a au départ pas réalisé de marges car l’entreprise avait investi massivement. Mais les marges ne garantissent en rien l’investissement, encore moins l’investissement pertinent. De même que les moyens ne garantissent pas la qualité.
Il faudra sans doute longtemps avant que les citoyens comprennent que « moins de concurrence » et « plus de moyens » n’amélioreront pas leur sort, au contraire, et ne serviront qu’à se gaver sur leur dos. Tout comme il leur faudra du temps pour comprendre que l’État n’agit pas toujours pour leur plus grand bien, mais bien souvent pour se l’approprier.

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