TOUT EST DIT

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jeudi 10 juillet 2014

Mort de la médecine libérale

Marisol Touraine veut être celle qui marquera l’histoire de la santé. Elle y est presque : le but quasi avoué est de faire disparaître la médecine libérale.
Résumé : la sécurité sociale a « un trou » que personne n’arrive à combler. Les dépenses continuent à filer. Il faut faire quelque chose.
Et si on jetait le discrédit sur une partie de la population qui ne dit jamais rien, et sur laquelle il sera facile de s’acharner ? Les médecins libéraux.
Ces nantis, qui ont le mauvais goût d’être plus nombreux au soleil ou près des villes que dans le nord ou en rase campagne.
Folle a lier !!!!
Ces nantis, dont les études sont « payées par l’État ». C’est loin d’être les seuls (on pense par exemple à tous les titulaires d’un CAP ou d’un Bac Pro), mais les autres professions ont la chance de ne pas être liés à l’État par la suite. On ne rembourse pas encore le croissant du matin ou la fuite d’eau inopinée un samedi après-midi.
Ces nantis qui se payent grassement sur le budget de la sécurité sociale, puisque c’est la CPAM qui rembourse toute consultation.
Pourquoi ne pas leur octroyer un salaire payé directement par la CPAM ? Ainsi, on pourrait :
  • Les fonctionnariser, donc les contrôler ;
  • Ne pas les payer s’ils ne font pas ce que la CPAM a décidé (par exemple ne pas les payer s’ils écrivent sur l’ordonnance « non-substituable » ou si la prescription est considérée comme trop onéreuse par la Sécurité Sociale) ;
  • Les obliger à faire de nouvelles tâches administratives, donc décharger la Sécurité Sociale, tellement submergée déjà, en faisant faire au médecin ce qui est normalement du ressort de la CPAM (vérifier la validité des droits des assurés par exemple).
Il est prévu de déléguer cette tâche au médecin lui-même, qui devra vérifier tout seul que le patient assis en face de lui est bien à jour de ses droits (je vous laisse imaginer le surréaliste dialogue du médecin disant à son patient qu’il n’est pas à jour de ses droits et donc monsieur/madame je ne vais pas pouvoir vous examiner sinon je ne serais pas payé). Le travail administratif a même été chiffré par les organismes concernés, et il occuperait presque un temps-plein de secrétaire médicale.
Le médecin devra donc vérifier que le patient est à jour de ses droits. Et à la fin du mois, il devra vérifier, patient par patient, dossier par dossier, que la CPAM a bien payé la part du patient, et que la mutuelle a elle aussi bien payé sa part. Il y a environ 600 organismes de complémentaires, pour donner une idée de l’ampleur de la tâche.
Évidemment, aucun système n’étant parfait, il arrivera fatalement que quelques erreurs se glissent dans le paiement. Mais nul n’est parfait. Et puis, un médecin, ça gagne suffisamment pour ne pas venir se plaindre, d’ailleurs avec le chômage et la crise, il serait mal venu de pleurnicher qu’on a trop de travail, et puis il y a la vocation, la fameuse vocation, qui fait que l’on peut bien travailler sans être payé, après tout, c’est pour la beauté du geste.
Ce qui peut arriver (et encore, en ne mettant pas les choses au pire) : à force de tirer sur la corde (sensible) des médecins libéraux, ils vont finir par s’installer de moins en moins en libéral. Il restera essentiellement une médecine publique, à qui l’on n’a pas coupé les vivres, puisque chacun sait bien qu’il n’y a jamais de gaspillage dans le public. Avec la baisse du nombre de médecins, l’hôpital public engagera probablement de plus en plus de médecins étrangers, mal payés (donc économiquement intéressants). Ceux qui voudront continuer à travailler « pour la beauté du geste » seront dans les maisons médicales financées par l’État, ou à l’hôpital. Les autres se déconventionneront (c’est-à-dire mettront fin à tout contact avec la sécurité sociale) et recevront des patients qui peuvent se payer une consultation sans remboursement. Il y aura donc une médecine pour les riches et une pour les pauvres. Les autres médecins ? Certains parlent déjà de « dévisser leur plaque », faire autre chose. Partir exercer à l’étranger.
Effectif et projection des médecins généralistes recensés par l’Ordre
Effectif et projection des médecins généralistes recensés par l’Ordre.

Alors bien sûr, on dira d’eux qu’ils ne s’intéressent qu’à l’argent. Qu’ils fuient la France pour ne pas payer d’impôts. Évidemment.
Le prétexte des économies est facile, le discrédit d’une profession est inadmissible. Quand le coût de la réanimation est de 1500 à 2000 euros par jour, quand la consultation aux urgences (« gratuite » comme on le sait) représente un coût de 223 euros en moyenne (et non les fameux 23 euros que ne paye même pas le patient), il est ridicule d’imposer la consommation de médicaments génériques dont le prix est bien souvent le même que le prix du médicament princeps ; d’arrêter de rembourser les médicaments prescrits avec la mention « non-substituable ». Ou de donner en pâture aux médias ou à la population le niveau de vie d’un médecin.
L’Université Paris-Descartes et la Chaire santé de Science Po ont, lors des Rencontres du droit et de l’économie de la Santé le 4 Juillet dernier, fait remarquer que les médecins avaient tendance à s’installer « dans les régions où le revenu sera le plus élevé et également dans celles où le nombre d’heures d’ensoleillement est important ». Il serait donc souhaitable d’après les universitaires, d’avoir des incitations financières très élevées pour convaincre les médecins de s’installer ailleurs. Il est surtout prévu des mesures contraignantes pour moduler encore plus fortement le numerus clausus et peser fortement sur la liberté d’installation.
Quel travailleur peut aujourd’hui continuer à payer ses impôts avec contentement sans trouver rien à redire à l’usage qui est fait de cet argent, aux lois qui sont faites au détriment du plus grand nombre ? Quel travailleur accepterait de dispenser son savoir-faire ou son savoir en acceptant d’emblée qu’une partie de ce travail ne soit pas rémunérée ? De se laisser imposer le lieu où il exercera son métier ?
img contrepoints457 Marisol TouraineSi l’on veut faire des médecins généralistes des fonctionnaires, il faudra le leur dire dès le début de leurs études, et leur accorder alors tous les avantages de cette catégorie : certes ils ne choisiront plus leur lieu d’exercice ou le contenu de leurs prescriptions. Mais il faut que les patients se rendent compte qu’eux non plus ne seront plus libres de choisir leur médecin ni de lui demander des petits ajouts sur l’ordonnance. Le médecin ne sera plus libre de prescrire ce qui lui semble le plus adéquat pour son patient. Mais cette consultation au rabais sera gratuite. Tout dépendra désormais de la CPAM qui sera le payeur, donc le décideur.
La gratuité n’existe pas sauf dans les esprits dérangés et formatés par leurs études, faites dans un milieu fonctionnaire par des fonctionnaires pour des fonctionnaires. La gratuité, c’est l’argent que chacun d’entre nous doit donner après ponction sur le fruit de son travail pour que l’État en fasse ce que bon lui semble, et le distribue pour faire « du gratuit ».
Il devient très malsain de laisser penser qu’une catégorie professionnelle, dont la pénibilité au travail ne sera jamais évaluée (la fameuse vocation, les fameux nantis) doit faire encore plus d’efforts, tout cela parce que le budget de la Sécurité Sociale a été géré extrêmement mal par des incompétents qui voudraient en faire retomber la faute sur autrui.
« Il y aura un avant et un après cette loi, qui transformera le quotidien de millions de citoyens » a dit Marisol Touraine. Il est à craindre qu’elle ait malheureusement raison.

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