TOUT EST DIT

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lundi 11 août 2014

Budget pour 2015 : pile ou face ?

Le PLF 2015 (projet de loi de finances) va être une suite de décisions qui aboutiront à un choix d'ensemble, à une couleur dominante. Celle de soutenir une activité déficiente ou celle de tenter de poursuivre des efforts relevant de l'austérité. Que décideront les pouvoirs exécutif et législatif dans cette sorte de pile ou face ?

La majorité présidentielle et le décideur public ultime ont désormais parfaitement conscience de l'erreur de diagnostic des gouvernements Ayrault. Inquiets – à juste titre –, de la montée des déficits et des attaques spéculatives sur l'euro en 2012, la France a été engagée dans une politique de réduction de la dépense publique et a ainsi été à même de réduire quelque peu son ratio de déficit public rapporté au PIB. Loin toutefois des propos d'aucuns qui promettaient mordicus les 3 % pour les années suivantes "voire avant"...
Hélas, les pilotes de la politique économique de l'époque ont accumulé des  erreurs incompatibles avec notre statut d'économie d'endettement : "overdraft economy". Ainsi, malgré une visite convaincante du premier ministre en Autriche (après ce qui restera une vraie erreur de diagnostic du gestionnaire de Bercy d'alors), il faut s'interroger sur l'avenir donc sur le choix dominant qui va caractériser le PLF 2015.
1) Un PLF 2015 sous pressions intérieure et extérieure
Le PLF 2015 ne sera pas voté sans psychodrame, car la majorité présidentielle de 2012 ne présente pas une façade unie en 2014, loin s'en faut. Le Front de gauche (lui-même lézardé entre le PCF et les tenants de Jean-Luc Mélenchon : voir impossibilité de tenir une université d'été commune) ou EELV n'ont pas totalement la même approche. De même, ceux que l'on nomme les "frondeurs" au sein du PS, apportent des axes de solution qui ne se recouvrent pas complètement.
Il y aura donc, pour l'exécutif, à donner quelques gages à cette aile gauche de la majorité, d'autant plus que la récente décision du Conseil constitutionnel (sur les allègements sélectifs de cotisations salariales) a rendu inopérante la tentative de restituer du pouvoir d'achat aux plus modestes. En visant court, mais juste, il y aura débat entre un budget qui soutient la demande (Pascal Cherki, Jérôme Guedj), ou qui soutient l'investissement (Gaëtan Gorce) ou qui reste dans les filets de l'orthodoxie budgétaire.
Cette pression intérieure – politique et parlementaire, mais aussi syndicale – ira à l'opposé de la pression extérieure notamment symbolisée par les autorités allemandes et la Commission de Bruxelles qui attendent désormais sans patience additionnelle que la France tienne ses engagements. Car, au grand dam des intérêts supérieurs de notre nation, la politique impressionnante d'endettement des années 2008 et 2009, mais aussi les années 2012 et 2013, on a vu notre dette publique continuer d'augmenter : près de 95 % du PIB, près de 2000 milliards (et 3100 d'endettement hors bilan).
Pour le PLF 2015, nous ne pourrons pas dire l'adage britannique : "right or wrong, it's my country" (à tort ou raison, c'est mon pays !), mais serons absolument obligés d'agir afin que l'on puisse clamer : "we were right for our country" (nous avons eu raison pour notre pays). Sans aucune exagération, mais à la simple lecture des faits qui contraignent notre action publique, le PLF 2015 sera historique. S'il s'inscrit dans le registre de choix erronés, notre nation se rapprochera du désespoir social et de la soumission. On comprend pourquoi ce PLF doit susciter de l'aposiopèse chez le décideur public ultime à qui mille conseils contradictoires doivent être glissés par oral ou par écrit.
2) Quel déficit prévisionnel ?
La matière budgétaire est parfois aride, mais elle demeure un exercice de rigueur intellectuelle sinon arithmétique. Ainsi, lorsque la France indique dans sa trajectoire des finances publiques qu'elle va réduire ses dépenses de 50 milliards d'ici à 2017, cela revient à exercer un effort d'un peu moins de 20 milliards par an.
- À rapprocher des 309 milliards des charges nettes du budget général.
- À rapprocher des 82 milliards de déficits primaires votés pour 2014 avec un scénario optimiste pour la croissance : les 0,5 % qui risquent finalement d'être le chiffre final auront un impact de plusieurs milliards.
L'effort de 20 milliards par an demeure modeste au regard des expériences allemande, canadienne ou suédoise. De plus, inférieur à 10 % des dépenses du seul budget général (État donc hors volet social, etc.) il ne représente qu'un quart du déficit de 2014.
La question logique et un peu glaçante est simple : à quel niveau sera situé le déficit prévisionnel pour 2015 ? Au-dessus de 20 milliards, chacun a mesuré que nous serions en poursuite de dégradation de l'endettement.
3) Quelles approches sectorielles ?
Un budget est l'occasion de soutenir tel ou tel pan de l'activité économique. Après réflexion, il nous semble que l'État serait bien inspiré d'apporter des concours additionnels au secteur du logement.
- Tout d'abord, une forte demande sociétale existe en la matière.
- Puis, en termes méso-économiques (sectoriels), c'est un secteur à intensité de main-d'œuvre et non délocalisable.
- De plus, la transition énergétique serait alors concrètement mise en marche (isolation)
- Enfin, ce serait un moyen politiquement acceptable de plafonner les effets pervers de la loi ALUR.
À défaut d'approches sectorielles, si le PLF se cantonne dans des problématiques de stricte macro-économie, il y aura un fort "ECP" (écart circulaire probable) par rapport aux cibles annoncées et escomptées.
4) Quelle dominante retenir ?
Tout d'abord, il n'est pas interdit d'être créatif. En matière fiscale, il y a eu un avant et un après-Maurice Lauré (concepteur de la TVA en 1954, il y a 60 ans). En matière budgétaire, je veux croire au résultat des intelligences collectives concernées. En guise d'attente d'innovations de Bercy, je repense à la fin du film de Claude Chabrol (Bellamy, 2009) où est citée cette opportune phrase du poète britannique W.H Auden : "Il y a toujours une autre histoire. Il y a plus que ce que l'œil peut voir".
Quittons la poésie et revenons au rapport de la Cour des comptes sur les 112 milliards de la : quelle suite tangible pour 2015 ? Quels efforts de gestion ?
À titre de dominante, le budget doit incorporer les prévisions de croissance du FMI pour 2015 et 2016 qui semblent favorables et écarter le risque déflationniste. Par référence à la déflation décennale du Japon des années 2000, l'Europe doit agir avec précaution face à cette sérieuse difficulté économique potentielle.
Dès lors, le PLF 2015 qui devrait reposer sur une politique de l'offre (et de restauration de compétitivité) risque d'être dépassé par la vitesse de propagation des foyers déflationnistes. Ainsi, il devrait intégrer un soutien à la demande. De facto.
Dans leur livre dédié à la macroéconomie, Olivier Blanchard (économiste en chef du FMI) Daniel Cohen et David Johnson écrivent (page 628) : "L'équivalence ricardienne qui affirme qu'une hausse du déficit sera compensée par une hausse égale de l'épargne, de sorte que le déficit devrait être sans effet sur la demande et la production... /... n'est pas vérifiée".
Le soutien à la demande devra donc avoir des contreparties dans la colonne des dépenses sous peine d'augmentation, in fine, stérile du déficit.
Quant à la politique de l'offre, les mécanismes complexes du CICE ne garantissent pas pleinement l'affectation finale des fonds perçus qui peuvent ainsi s'éloigner – par exemple – des investissements que le mouvement actuel d'innovations rend nécessaires.
En France, ce n'est pas l'État qui – seul – peut conduire une politique de l'offre. Il suffit de se reporter aux pages 324 et 325 du livre d'Olivier Blanchard et alii :
"Il y a une relation très forte entre la variable q de Tobin et l'investissement. Cela tient pourtant sans doute moins à ce que les entreprises suivent passivement les signaux envoyés par le marché financier qu'au fait que le prix des actifs et les décisions d'investissement sont influencés par les mêmes facteurs (profit et taux d'intérêt escomptés)."
La variable q de Tobin est déterminée ainsi : valeur de marché totale des entreprises (somme de leur valeur et des capitaux empruntés) divisée par le coût de remplacement du stock de capital.
Ainsi, il ressort de cette approche l'importance du dynamisme du marché des financements des entreprises (direct ou indirect, donc bancaire). À ce stade, la politique de l'offre voulue par le Président de la République ne peut que se heurter au phénomène du "credit-crunch" ( resserrement du crédit ).
Conclusion
La confiance est, pour l'heure évanouie, et le PLF 2015 sera donc un exercice technique, un arrangement politique, une sorte de statu quo diplomatique et l'occasion d'accélérer vers certains secteurs tout en renouant charnellement avec la nation.
Pour porter véritablement, ce PLF ne pourra donc pas être une sorte d'integumentum que Bernard Silvestris (philosophe du XIIe siècle) définit comme "une sorte de démonstration cachée sous un récit fabuleux enveloppant la compréhension de la vérité". Les comptes doivent être sincères tout autant que leur exposé des motifs et leur présentation aux citoyens.
De toutes les manières, la France est finalement face à un vieux débat et soumise à une tentation dépensière. Gardons en mémoire l'instructive phrase de Jacques Delors issue d'une interview au Monde (8 décembre 2010) : "Entendre les conseillers des banques nous intimer l'ordre de réduire les déficits publics puis, lorsque cela est en bonne voie, s'alarmer de la panne de croissance qui pourrait en résulter est une double peine insupportable".


La France est d'autant plus à la peine que certains membres du gouvernement de 2012 ont gommé certains enseignements deloristes pourtant manifestement forts à propos. 
 

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