TOUT EST DIT

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samedi 2 août 2014

La Grèce fut un pilier de la résistance

L’historienne Joëlle Fontaine, auteur de De la résistance à la guerre civile en Grèce, 1941-1946, évoque le rôle joué en Europe par le mouvement de résistance grecque.


Les apports de la Grèce antique à la civilisation européenne sont souvent évoqués, mais la Grèce moderne a rarement droit à cet honneur. Combien savent aujourd’hui le rôle joué par ce pays dans le grand combat du milieu du XXe siècle contre le fascisme ? La résistance grecque a pourtant été l’une des plus massives et des plus importantes du continent européen.
D’abord attaquée par Mussolini, en octobre 1940, la Grèce a réussi en deux semaines à repousser l’invasion italienne mais n’a pu contenir celle des troupes nazies en avril-mai 1941, malgré une résistance qui a forcé l’admiration d’Hitler lui-même, et l’a obligé à repousser d’autant ses opérations contre l’URSS. Le Parti communiste grec, le KKE, est alors totalement désorganisé par les persécutions qu’il a subies les années précédant l’occupation, celles de la dictature fascisante du général 
Metaxas. La plupart de ses dirigeants sont emprisonnés ou déportés, mais plusieurs s’évadent et mettent très vite sur pied des organisations de résistance : d’abord la Solidarité nationale, l’EA, afin de venir en aide à une population décimée par une terrible famine (la pire d’Europe) au cours de l’hiver 1941-1942 ; puis, dès septembre 1941, le grand Front national de libération, l’EAM, qu’ils constituent avec trois petits partis socialisants – faute de rencontrer l’écho espéré auprès des deux grandes formations traditionnelles qui restent à l’écart de toute action.
L’EAM organise d’immenses manifestations dans les villes, où l’on voit des jeunes gens et des jeunes filles se jeter contre les tanks italiens ou allemands à mains nues... C’est ainsi qu’en février-mars 1943 la population athénienne coupe court aux tentatives allemandes d’instaurer le service du travail obligatoire ! En février 1942, l’EAM crée son Armée populaire de libération, l’Elas, qui harcèle continuellement l’ennemi, obligeant les Allemands à maintenir en permanence en Grèce près de dix divisions et facilitant à plusieurs reprises d’importantes opérations alliées : par exemple en novembre 1942, lorsque l’explosion du pont de Gorgopotamos coupe la voie de ravitaillement des troupes de l’Afrika Corps de Rommel, ou lorsqu’une intense campagne de sabotage, début juillet 1943, détourne l’attention des forces de l’Axe de la Sicile où se prépare le débarquement allié.
Et cela malgré un climat de terreur indescriptible. Outre les exécutions d’otages, après de telles opérations, on ne compte pas en Grèce les villages entièrement brûlés, avec femmes et enfants, les corps des hommes exécutés pendus à l’entrée des ruines fumantes. Le comble de l’horreur est atteint en juin 1944, à Distomo, près de Delphes, où la Wehrmacht laisse derrière elle 300 cadavres horriblement mutilés... On comprend que la presse grecque rappelle aujourd’hui régulièrement à l’Allemagne qu’elle n’a jamais payé ses dettes de guerre !
Dès l’été 1943, l’Elas a libéré un tiers du territoire de la Grèce, tout au long de la zone montagneuse qui va de la Macédoine occidentale au golfe de Corinthe. Dans cette Grèce libre, l’EAM crée un véritable État de type nouveau. Des assemblées générales où participent les femmes (chose incroyable alors en Grèce !) élisent différents comités locaux : auto-administration, tribunal populaire et commissions pour la sûreté, le ravitaillement, l’école et l’église. L’EAM multiplie parallèlement les tentatives auprès du gouvernement présidé par le roi de Grèce en exil à Londres, puis au Caire, pour former un gouvernement d’union nationale. Mais devant le refus de celui-ci, il crée en mars 1944 son propre Comité politique de libération nationale et organise le mois suivant, dans la Grèce libre et ailleurs dans la clandestinité, des élections à un Conseil national de 180 députés : réuni du 14 au 27 mai, ce dernier rédige une Constitution sur la base des institutions déjà créées et lance un important travail législatif.
C’est que, comme la plupart des mouvements de résistance dans l’Europe occupée, l’EAM n’a pas pour seul but la libération du pays. Son programme prévoit aussi de profondes réformes, plus que nécessaires dans un pays qui n’a jamais vraiment connu de régime démocratique et est encore dans une situation d’extrême pauvreté et de grandes injustices sociales. Dans une situation de dépendance aussi, notamment vis-à-vis de la Grande-Bretagne, et c’est ce qui va être fatal à la résistance grecque.
Churchill tient en effet à restaurer à la libération le régime monarchique grec, le meilleur garant selon lui des intérêts de l’empire britannique dans cette zone stratégique de Méditerranée orientale. Dès 1943, il tente par tous les moyens de nuire à l’EAM, suscitant ou finançant des organisations concurrentes, n’hésitant pas à soutenir en sous-main les milices collaboratrices qui attaquent l’Elas et piégeant les dirigeants de la résistance par des manœuvres politiques qui leur ôtent toute possibilité d’action autonome. Ces derniers acceptent finalement en août 1944 de participer à un gouvernement constitué au Caire et n’ayant d’unité nationale que le nom – puis, deux mois après, le débarquement de troupes britanniques en Grèce, alors que les Allemands s’en sont déjà retirés. Et ce sont ces troupes « alliées », jointes aux milices collaboratrices grecques, qui imposeront en janvier 1945 le désarmement des partisans après plus d’un mois de bombardement d’Athènes « de terre, de mer et du ciel », mettant ainsi fin brutalement aux immenses espoirs suscités par la Résistance.
De la résistance
 à la guerre civile
Le peuple grec a décidément été bien peu récompensé 
de sa magnifique résistance. L’EAM gardait en 1945 
un immense dynamisme et pouvait l’emporter largement aux élections. Mais une terreur implacable s’abattit aussitôt sur les résistants désarmés, au point de rendre non seulement leur participation politique, mais aussi leur simple survie impossible. D’où un retour au maquis pour nombre d’entre eux, une guerre civile de trois ans où les Américains succédèrent aux Anglais comme « protecteurs » de la Grèce, et plusieurs années de régimes répressifs culminant avec la dictature des colonels. La résistance n’a été reconnue officiellement 
en Grèce qu’en 1982.

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